Voici l’article publié dans La Croix le 4 juillet 2017.
Le Parlement européen s’apprête à débattre, mercredi 5 juillet, de l’opportunité de disposer d’un siège unique. Les principales institutions de l’Union européenne pourraient se voir regroupées à Bruxelles.
Une fois par mois, c’est le branle-bas de combat : un pan de la « bulle européenne » bruxelloise embarque à bord d’un train spécialement affrété à destination de Strasbourg, l’autre capitale de l’Europe. Valise à la main, dossiers sous le bras, les eurodéputés (ils sont 751 au total, mais certains se dispensent d’être présents) et leurs assistants regagnent l’hémicycle strasbourgeois du Parlement européen pour quatre jours de séance plénière.
« Pro » et « anti-Strasbourg »
Mercredi 5 juillet, à l’agenda de cette session, un débat s’annonce houleux : les députés se pencheront sur l’opportunité de disposer d’un siège unique. Depuis la Déclaration d’Édimbourg, en 1992, le fonctionnement de l’institution est fixé comme suit : les plénières à Strasbourg, les réunions en commission (comprendre : en groupes de travail) à Bruxelles et le secrétariat général à Luxembourg. Cette organisation s’est vue intégrée aux traités en 1997.
Mais entre Bruxelles et Strasbourg, la guerre est déclarée depuis des années. Bon nombre de députés français veulent maintenir la branche strasbourgeoise. D’autres – nordiques en tête – font campagne pour un siège unique à Bruxelles. Le scénario, sur la table actuellement, imagine le déplacement de l’Agence européenne du médicament de Londres vers les bâtiments alsaciens. « Si le groupe PPE venait à prendre une position officielle contre Strasbourg, je quitterais immédiatement – et avec moi sans doute l’ensemble de mes collègues français – le groupe PPE », a d’ores et déjà menacé Jérôme Lavrilleux, membre du groupe du Parti populaire européen (PPE).
Coûts et pollution, les arguments qui font débat
Études à l’appui, les « pro » et les « anti-Strasbourg » (membres de l’institution ou pas) avancent pêle-mêle des arguments budgétaires, pratiques, géographiques, historiques ou juridiques. « Les ”centralisateurs” expliquent que chaque plénière gaspille 20 000 tonnes de CO2, mais c’est une invention, tonne Troy Davis, militant strasbourgeois en faveur du siège alsacien. Ces affabulateurs se basent sur des données qui datent d’avant la ligne TGV directe ! » La Suédoise Anna-Maria Corazza Bildt persiste : dans une lettre aux 28 dirigeants, la députée avançait l’an dernier le chiffre de 19 000 tonnes de CO2, ainsi que 114 millions d’euros de coûts additionnels annuels, dus à la séparation des locaux.
« De jure, ce n’est pas le cas, mais de facto, Bruxelles est déjà le siège du Parlement », constate Vincent Calay, auteur d’une thèse consacrée à l’implantation des institutions. La capitale belge accueille notamment les « trilogues », ces négociations entre Commission, Conseil et Parlement. « Si les plénières se tenaient à Bruxelles, elles seraient immergées dans ”l’eurocratie”, prévient Michel Mangenot, professeur à l’Institut d’études européennes de Paris-8. Le Parlement serait banalisé. »
Quelles compensations en cas de perte du Parlement ?
Mi-février, le gouvernement français a porté plainte auprès de la Cour de justice de l’UE (CJUE, à Luxembourg) contre le Parlement car le budget 2017 a été adopté à Bruxelles, alors que les textes exigent que ce vote se déroule à Strasbourg. En 2012, elle avait déjà obtenu gain de cause. « Dès qu’elle en a l’occasion, la France monte au créneau pour défendre le siège à Strasbourg », note Anne Sander, seule députée originaire d’Alsace.
« La question du siège est taboue en France, traduit encore Michel Mangenot. Si le gouvernement remettait Strasbourg en question, les opposants s’engouffreraient dans la brèche. Or, plus elle attend, moins la France pourra obtenir une compensation importante. » L’hypothèse, un temps évoquée, de la tenue des Conseils européens à Strasbourg, semble de moins en moins crédible. Mais si Strasbourg renonçait au Parlement, elle pourrait potentiellement devenir capitale juridique, en accueillant la CJUE. Les négociations en vue du Brexit pourraient rebattre les cartes.