Ci-dessous vous trouverez un article publié dans le journal La Croix le 26 avril 2017.
Rassurés de voir Emmanuel Macron en tête du premier tour de la présidentielle, les responsables européens n’en sont pas moins confrontés à un électorat français qui a pour moitié défié l’Union européenne.
Pour répondre aux mécontents, un « socle européen des droits sociaux » doit être précisé mercredi 26 avril. Des pistes sont envisagées pour combler le sentiment de déficit démocratique.
Après les sueurs froides, l’énorme « ouf » de soulagement. Alors que chaque scrutin national témoigne de la crise existentielle de l’UE, l’exécutif européen n’a pas caché sa joie, à l’issue du premier tour de la présidentielle française.
En plaçant le très euro-compatible Emmanuel Macon en tête, devant la souverainiste Marine Le Pen, les Français ont confirmé la tendance amorcée à la mi-mars aux Pays-Bas, où les législatives n’ont pas entraîné de raz de marée populiste. Le scénario de la réaction en chaîne, après le Brexit, semble s’éloigner.
Le niveau de méfiance vis-à-vis de l’UE approche la barre des 50 %
Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a immédiatement soutenu le candidat d’En marche !, tandis que Federica Mogherini, la chef de la diplomatie européenne, a tweeté : « Voir les drapeaux de la France et de l’Union européenne (UE) saluer le résultat d’Emmanuel Macron, c’est l’espoir et le futur de notre génération. » Au point de donner l’impression d’une victoire pour l’europhile.
Prudence. Même si la réussite d’Emmanuel Macron reste le scénario le plus probable, rien n’est acquis à ce stade. Bruxelles doit garder à l’esprit que 40 % des citoyens ont voté pour Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, c’est-à-dire contre l’UE et contre l’euro.
Une fois ajoutés les scores des autres candidats eurosceptiques ou europhobes – tous hormis François Fillon, Emmanuel Macron et Benoît Hamon –, le niveau de méfiance cumulée vis-à-vis des institutions européennes approche la barre des 50 %.
« Rénover la vision européenne »
Nathalie Brack, politologue au Cevipol, le centre d’étude de la vie politique de l’Université libre de Bruxelles (ULB), admet qu’il ne faut pas se réjouir trop vite. « La menace posée par la droite radicale et populiste ne va pas s’éteindre d’un coup. Le retour au “business as usual”– “la politique comme d’habitude” – n’est pas une bonne idée », estime la chercheuse.
Bruxelles a besoin de convaincre à nouveau. Cela passe par des mesures pour mieux prendre en compte l’état de l’opinion. Emmanuel Macron, s’il est élu, défendra l’organisation en 2017 de « conventions citoyennes dans toute l’Europe », pour « rénover la vision européenne » et parvenir à « l’émergence d’une opinion à 27 ».
Un nouveau traité pourrait naître de cette consultation. Les idées pour combler le déficit démocratique ne manquent pas. Certaines d’entre elles dépassent d’ailleurs les clivages politiques.
Créer des listes transnationales pour les élections européennes
Un récent rapport (1), signé de la main de personnalités allant d’Alain Juppé à l’écologiste Daniel Cohn-Bendit en passant par l’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt, propose par exemple la création de listes transnationales pour les élections européennes, de manière à créer un « espace public européen ». Objectif, placer les ressortissants européens en prise directe avec les enjeux communautaires.
Pour l’heure, cette logique participative est balbutiante. Tout juste existe-t-il une procédure dite d’« initiative citoyenne » où les signataires d’une pétition peuvent porter un texte devant la Commission européenne. Mais la barre est tellement haute pour l’enclencher (rassemblement de 1 million de citoyens d’au moins neuf pays) qu’aucune n’a encore abouti – celle sur le glyphosate, un perturbateur endocrinien, étant la plus proche d’y parvenir.
La stratégie de reconquête des citoyens passe aussi par la relance de l’« Europe sociale ». La Commission européenne compte frapper fort, mercredi 26 avril, en présentant une série d’initiatives. Ces dernières touchent autant à l’équité des marchés du travail de l’UE qu’au fonctionnement de ses multiples systèmes sociaux.
« L’Europe doit montrer qu’elle ne s’arrête pas aux mots. »
Hasard du calendrier ? Pas entièrement, alors que la campagne présidentielle en France se cristallise autour de l’Europe. « C’est le moment idéal de parler du social, confie une source européenne. Face aux populistes et au repli sur soi, l’Europe doit montrer qu’elle ne s’arrête pas aux mots. »
Pourtant, le « socle des droits sociaux » qui doit être dévoilé ce mercredi 26 avril, n’a aucune valeur juridique. Il s’apparente plutôt à une charte qui liste des recommandations afin de gommer les divergences d’un pays à l’autre (salaires, conditions de travail) qui entraînent des situations de « dumping social », c’est-à-dire plus ou moins handicapantes ou avantageuses, selon les États et les points de vue.
« L’UE n’avance jamais par grandes révolutions, mais toujours à petits pas, constate l’eurodéputée Anne Sander (PPE). Voir la Commission prendre les initiatives qu’on attend depuis longtemps est déjà un grand pas. » L’élue alsacienne veut croire que l’Europe saura montrer aux citoyens qu’elle « s’intéresse à eux », même si elle l’admet : « Ces mesures ne vont pas changer les droits des travailleurs français aujourd’hui. »
Des propositions qui n’amélioreront pas les conditions des Français
Le paquet de la Commission contient aussi une proposition – législative, celle-ci – visant à améliorer l’équilibre entre vie privée et professionnelle. L’idée est de revoir les règles des congés parentaux et de paternité. Mais le droit hexagonal est déjà protecteur : ces propositions n’amélioreront pas les conditions des Français. Tout au plus leur feront-elles prendre conscience que l’Europe s’empare enfin du volet social.
La thématique de l’« Europe sociale » n’est pas nouvelle. Elle ressort dès que la défiance envers l’UE est assez forte pour lui donner l’élan nécessaire. Le référendum de 2005 l’avait ainsi placée au cœur du débat, sans aboutir à de grandes avancées au niveau communautaire. En 2008, la Commission avait par exemple voulu allonger les congés de maternité, sans succès. La proposition avait finalement été retirée.
L’Europe est plutôt « guidée par son instinct de survie »
En 2015, alors qu’il préfaçait un rapport intitulé « Un nouvel élan pour l’Europe sociale », Jacques Delors maintenait qu’« après les pompiers, l’Europe attendait les architectes ». L’actuel président de la Commission, Jean-Claude Juncker, se revendique du côté des bâtisseurs de l’Europe du « triple A social », celle qui la réconciliera avec les citoyens.
L’Europe, tétanisée par l’accumulation des urgences, est plutôt « guidée par son instinct de survie », estime Sofia Fernandes, chercheuse pour les questions sociales à l’institut Jacques-Delors, listant la gestion de la crise grecque, le risque de fragmentation de la zone euro, et la gestion du Brexit. Avant d’ajouter : « Maintenant, elle a besoin d’un projet positif, et l’Europe sociale est un instrument de choix pour dire que l’Europe n’est pas seulement un marché et une monnaie. »
https://www.la-croix.com/Monde/Europe/LEurope-doit-convaincre-vite-2017-04-25-1200842391